Petite Achinaise de Sumatra, 31 mars 2014
Cela fait bientôt trois mois que je suis rentré, et je commence seulement à sentir que ça y est, il est temps de clôturer l'aventure. J'avais en tête un beau bilan, bien comme il faut avant de quitter définitivement la Thaïlande, mais je dois avouer qu'il a tout bonnement volé en éclat lorsque je me suis retrouvé confronté à la réalité de l'Europe.
A ceux qui me demandent si la "réadaptation" n'est pas délicate, je dois répondre que si, en effet, c'est un processus loin d'être évident, très différent de ce que j'avais imaginé. C'est un soucis, je pense avant tout d'identité: contrairement à ce qu'on (et moi le premier) aurait pu penser, la réaclimatation, le retour dans le train-train quotidien se fait étonnement vite. Passé les premiers moments d'euphorie, on se retourne sur soi-même, surpris de s'être laissé repris dans la danse aussi rapidement. Qui suis-je en fait? Le type plein de boue sur sa moto qui cherche un campement pour la nuit? Le nantais qui remplit ses déclarations de revenue et ses demandes d'APL? L'étudiant en Médecine qui tente de "rattraper" le retard d'une année à l'étranger? On ne sait plus vraiment où on est, pas vraiment ici, mais déjà plus vraiment la-bas. Est-ce que tout ce que j'ai fait pendant ce voyage aura été vain? Est-ce que je suis vraiment le même qu'avant? Globalement, c'est une perte de repère, qu'il faut récupérer petit à petit. Mais non, c'était bien moi là-bas, et c'est toujours moi ici: l'enjeu à présent, et je commence seulement à en mesurer l'ampleur, consiste à réussir à superposer ces "aspects" de ma personnalité, ces tranches de ma vie, si différentes mais en même temps si complémentaires, et à en tirer le meilleur.
Cette aventure restera je le pense unique. Je pressent tout juste tout le "plus" qu'un tel Voyage a pu m'apporter. A un moment clef de ma vie, cette pause m'a été extrêmement bénéfique. Me retrouver seul sur un si long laps de temps m'a permis de poser pas mal de choses, de prendre un certain recul sur ma vie, et sur la société occidentale en règle générale (et notamment sur ce fameux "principe de précaution"). Mais pas seulement; d'un point de vue global, cette expérience m'aura appris à remettre en question tout ce qui paraît si "acquis" et intrinsèque à notre manière, nous européens de voir les choses.
J'ai également réussi à dégager beaucoup de temps pour lire, ce qui m'était plus difficile l'année passée avec mes différents engagements associatifs. Si je n'avais pas fait Médecine, je me serais tourné vers l'Histoire. Cette année, dans un univers entièrement nouveau pour moi (c'est aussi pour ça que mon regard s'était tourné vers l'Asie), j'ai pris un plaisir fou à me plonger dans l'actualité, à poser des questions aux gens, à faire mes petites enquêtes, et à bouquiner sur l'Histoire de ces nations, si éloignées des nôtres. C'est comme un cursus à la fac, où j'ai la possibilité de choisir exactement ce qu'il me plaît, indépendamment de toute exigence scolaire, passant d'une époque à une autre au gré de mes envies. J'ai pris également énormément de plaisir à retransmettre tout ça par écrit, dans mes carnets de notes et sur ce blog.
J'ai eu une altercation avec un couple de français aux Philippines, juste avant mon départ, en long voyage comme moi depuis le mois de de septembre, mais qui avaient réussi sur la même période à faire près de deux fois plus de pays que moi, sur plusieurs continents. Premier point où nos avis divergeaient: pour moi, il était important que mon voyage ait une certaine cohérence spatio-culturelle, et c'est à ce titre que j'avais jeté mon dévolu sur l'Asie du Sud-Est (ASEAN), même si sur la fin, il était très tentant de partir rejoindre mon amie Sheila en Inde. L'Inde est un pays qui m'attire énormément, mais il est pour moi trop complexe (et trop grand!) pour être envisagé sur quelques semaines. Plus que l'immensité de l'espace, ce pays est une entité culturelle à part entière, et le jour (prochain!) où j'irai là-bas, je me plongerai exclusivement dans son étude et sa compréhension. Apprendre l'Histoire d'un pays peut avoir un côté assez statique: c'est en me penchant sur le Laos, le Cambodge, la Birmanie et la Malaisie que j'ai pu réellement comprendre l'Histoire de la Thaïlande, qui devient alors dynamique. C'est pour ça que mélanger la Birmanie avec la Nouvelle-Zélande et l'Uruguay me paraissait, dans ma vision de voir les choses, un peu hors de propos.
Second point: le rapport aux populations locales. C'est pour moi la clef de me mon voyage. C'est par la rencontre, la confrontation à l'autre (sans tomber non plus dans le mythe du bon sauvage) qu'on apprend, et je ne parle pas ici exclusivement de données intellectuelles abstraites, mais d'échange, de leçons de vie, de bienveillance, de curiosité. C'est comme être un bébé qui s'émerveille devant tout. Pendant tout mon voyage, j'ai cherché le maximum du temps à fuir comme la peste les tours opérateurs et autres opérations de marketing qui dénaturent aussi bien les paysages que les gens. Ca peut faire un peu réac ou même snob dit comme ça, mais j'ai développé une réelle aversion pour tous ces organismes commerciaux, qui exploitent le moindre filon jusqu'à la moelle, sans aucune perspective de développement à long terme, et qui aboutissent invariablement à la destruction pure et simple de l'environnement, et l'annihilation de ce qui fait la richesse de ces cultures, à savoir la bienveillance et l'hospitalité. Aussi, à l'exception du tour dans la jungle avec un guide local dans le parc national du Gunnung Leuser, j'ai tenté, dans la mesure du possible, de tout faire par moi même. Je ne dis pas que c'était plus facile, ni même toujours mieux: à Halong, je n'ai pas vu aussi bien la baie sur ma barge locale, qui a contourné "le" site mythique, que ceux qui avaient payé un tour, mais je l'ai quand même vue, et j'ai passé la traversée avec un petit bébé vietnamien sur les genoux, à rigoler avec ses parents. C'est tout ce qu'il me faut.
Notre point de discorde était à propos de la barrière de la langue. Selon eux, cela n'avait aucun sens de faire des treks sans guide, ou essayer de dormir chez l'habitant sans traducteur (et une dizaine d'occidentaux avais-je envie d'ajouter). De vécu, je peux affirmer que mes meilleures expériences locales se sont miraculeusement réalisées lorsque je me trouvais dans des endroits complètement isolés, où les gens parlaient à peine trois mots d'anglais (voire pas du tout), mais qui par conséquent n'étaient pas corrompus par le tourisme de masse, ce concept hideux. Non, on n'a pas forcément besoin de langue pour communiquer: je garde des souvenirs incroyables d'échange, perdu au milieu de la brousse au Cambodge, sans électricité, avec des gens ne parlant strictement pas un mot d'anglais. Je montrais des photos de ma famille, eux retournaient leur maison pour retrouver la photo de la leur, jaunie, prise dix ans plus tôt. Nous apprenions à dire "frère" "soeur" "père" "mère ; je leur montrais une carte du monde, leur montrant la France, leur pays ; je dépliais mes cartes, montrais mon itinéraire ; j'avais avec moi quelques ballons de baudruche pour jouer avec les enfants. Le reste du temps, nous mimions, nous dessinions, ce que nous faisions dans la vie, ce que nous savions faire, ce que nous aimions. Et je peux vous assurer qu'on peut ainsi meubler bien plus qu'un soirée, et que la discussion est bien plus authentique que celle que je peux avoir avec un rabatteur de Saigon qui vient avec un anglais parfait me demander "Hey-my-friend-where-are-you-from-where-are-you-going"? Les mots ne sont pas les seules façons de communiquer, et c'est une belle leçon que j'ai appris là-bas.
Dernier point enfin, était de voir comment j'étais capable de me débrouiller par moi même. Je dois avouer qu'au départ, j'étais un peu en compèt' de mon coloc, qui avait attaqué fort à faire du stop en Colombie avec des feuilles de bananier. Il m'a fallu un peu plus de temps que lui, mais j'ai réellement eu cette impression que "je me formais", que chaque jour j'osais plus que le précédent. Ca a commencé par louer un scooter plusieurs jours dans la montagne avec Aaron, puis m'acheter une moto au mois d'octobre, puis tenter des chemins difficiles et déconseillés, puis dormir à la belle étoile avec Maïti au mois de janvier, puis me lancer sur des treks sans guide, et enfin attaquer les nuits dehors seul au mois de février. Je ne m'étais jamais retrouvé aussi longtemps seul avec moi même, et ne m'étais jamais "testé" dans ce genre de situation. Je ne vous cache pas de me réveiller au milieu d'une rizière dans mon hamac (ou par terre!) au petit matin est un de mes plus beaux souvenirs. Bon, je l'ai déjà répété pas mal de fois sur les articles précédents, mais la moto aura été un élément très fort de ce voyage. Grâce à ce mode de transport, j'ai pu goûter aux joies de la liberté absolue, à aller où je le voulais quand je le voulais, à réussir à me perdre dans les endroits les plus isolés. Sans cette autonomie parfaite, je n'aurais je pense sans doute pas réussi à rencontrer tous ces gens, si authentiques et si bienveillants, qui ont fait toute la richesse de mon voyage.
C'est maintenant l'heure de tourner la page, et de mettre un terme au "Voyage de Timhiro". Une belle aventure de ma vie. Je profite de ces lignes pour remercier tous ceux qui m'ont soutenu, ici et là-bas, mes parents qui ont tout de suite adhéré au projet, les quelques profs (ils se comptent malgré tout sur les doigts d'une main!) qui ont compris ma démarche, mes amis et ma famille qui ont pris régulièrement de mes nouvelles, ainsi que tous ceux qui ont pris le temps de me lire ici (j'offre le champagne à celui ou celle qui aura réussi à lire l'intégralité des tartines que j'ai mises en ligne). Ce blog était à la base pour tenir ceux de ma famille ne suivant pas facebook de mes avancées; j'ai avec le temps découvert que je prenais un plaisir fou à retracer mon expérience personnelle et à vous exposer mes découvertes régulièrement. J'ai également découvert que cela m'apportait finalement autant à moi, si ce n'est plus qu'à vous, et que faire l'effort de consigner mes expériences régulièrement me permettait de revenir dessus, d'y réfléchir à nouveau, et de les faire enfin définitivement miennes, pour en en tirer tout ce qu'il y avait de meilleur et bénéfique.
Merci enfin à mes compagnons de voyage, tout particulièrement Aaron, Romz et Sheila, mes hôtes, Joe, Reena, Naung Lynn Khyaw (il n'y a pas de nom - prénom en Birmanie!), tous ceux que j'ai rencontré durant cette aventure, habitants locaux ou voyageurs, qui ont participé à la magie de mon expérience. Merci aux 4 autres "Deserters 5", mes amis de promo ayant pris une césure comme moi, et tout particulièrement à Martin, mon colocataire, sans qui rien de tout cela ne serait arrivé. Ce voyage est le mien, et j'ai toujours su que j'avais les capacités de le réaliser: il me fallait simplement quelqu'un pour me mettre un bon coup de pied au cul, et me forcer à passer le cap. Merci éternellement.
Je pense avoir à peu près tout dit. Merci du fond du coeur d'avoir pris la peine de me lire, avoir pu partager cette page de ma vie est pour moi la source d'un plaisir que vous pouvez à peine soupçonner. C'est la fin de cette aventure, qui je l'espère continuera à vivre au travers de moi, de la façon dont elle m'a façonné et de la manière dont elle m'a changé, et qu'elle éclairera le reste de mes pas sous un angle nouveau.
Bon, ben je n'ai pas toujours tout lu - je n'aurai pas droit au champagne... Mais cette fois si j'ai tout lu, et j'ai les larmes aux yeux!!! Je partage ton ressenti sur le plaisir de partager ses aventures sur un blog. Je suis ravie que tu aies vécu une expérience si enrichissante! Je t'embrasse.
RépondreSupprimerPas de champagne pour moi non plus...mais de même je verse un petite larme en achevant de lire ta conclusion (après tout ce temps!) et en survolant quelques photos, toutes plus magnifiques les unes que les autres! Félicitations d'avoir réaliser un si beau périple et superbe blog. Ce mois de décembre s'annonce plus triste que le précédent pour toi et moi... Abrazos
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