Je decide, apres avoir quitte la Vigne, de partir dans le grand Nord, selon une nouvelle forme de voyage, encore non experimentee depuis mon depart: une croisiere lente sur un ferry local. J embarque donc jeudi matin a Mandalay sur un vieux rafiot de l IWT, reliant Bhamo en "4 a 7 jours" (horaires birmans, d autant plus imprecis que nous sommes en saison seche). Pour une misere, je dors a meme le pont du bateau, avec ma natte de Kalaw et ma couverture de survie.
Je partage le pont avec une quarantaine de passager, tous birmans. Il s agit d une experience tres forte de mon voyage: tres vite, j ai l impression de faire partie d une grande famille, ou tout le monde se connait et s entraide. Je suis le seul etranger, et chacun, au bout du deuxieme jour, vient me voir, essaie de discuter (personne ne parle anglais), me propose des trucs a manger, regarde ce que je fais, essaie de dechiffrer mes bouquins. C est comme d etre dans un village, sauf que j y ai ma place! Je m invente des histoires sur eux, leur trouve des surnoms. Il ne se passe pas une heure sans qu un truc bizarre m arrive, que quelqu un me dise ou me monte quelque chose d insolite. Chaque passager a sa petite particularite. Laissez moi vous dresser un portrait de cette grande famille:
EQUIPAGE DU BATEAU DU BONHEUR (MANDALAY - BHAMO)
- Il y a tout d abord, le "CREW", la bande des hommes de 40 ans, qui beneficient d un certain respect des autres passagers, et qui a d office skouate des Mandalay les places sur les cageots du fond, legerement sureleves par rapport aux autres passagers. Ils m ont directement pris sous leur aile, et m ont invite a m installer a cote d eux. Nous allons ensuite jusqu a Katha partage nos repas dans la cale. Le "Chef" passe son temps a me faire des blagues en birman dont je ne comprends pas un mot. L "Intello" sort sans arret un vieux journal du debut de la semaine, et se plonge dans sa lecture et sa relecture avec ses lunette portant encore l etiquette sur les verres. "Mr.Good", me fait "Good!" avec son pouce en l air a toute occasion, meme pour me demander un mouchoir. L"Eleveur" se promene avec un petit poussin dans sa poche, qu il laisse souvent jouer sur ma natte, et enfin, "Crado", mon voisin, m a lache un vieux pet en pleine figure en pleine apres midi. C est ma petite bande sur le debut du voyage. Ils m invitent le soir a prendre un the, pendant qu ils jouent a une espece de jeu de dames sur un carton retourne.
- Il y a ensuite les trois nonnes, dont une a un visage enfantin, les deux autres plutot effrayantes. L une d entre elle fait, j en suis sur, une espece de traffic de bois: elle possede deux sacs pleins a rabord de petits morceaux de je ne sais quel arbre, coupes en rondelles symetriques, qu elle sort plusieurs fois par jours, examine, renifle, etale amoureusement devant ses yeux, puis range precieusement. J en ai vu par la suite des similaires au marche de Bhamo. Les trois nonnes sont suivies par deux petites Shan, assez devotes, d environ 15 ans, qui s occupent d elles, les massent, et leur otent je ne sais quoi dans le dos. Les nonnes evitent un peu au debut mon regard: on commence a se faire des sourirs quand elles me voient recoudre mon sac.
- Il y a "Good-Hipster", et sa copine "Vicky", de leurs vrais noms Naung Lyn Kyaw et Su Su Win. Good a les cheveux teints, une boucle d oreille, un blouson en cuir, mais porte tout de meme un longyi. J appelle au debut Susu Vicky, car elle me fait penser a Rebecca Hall dans Vicky Cristina Barcelona de Woody Allen, version asiatique. Good est un des premiers a venir me "parler", me propose du betel a macher (degueulasse!). Par la suite, il vient souvent me voir, meme s il ne parle pas anglais, feuilleter mes bouquins, regarder mes cartes, mes photos, me proposer de manger un truc ou jouer a des jeux de cartes incomprehensibles. Je l appelle Good, car il est vraiment tres gentil, et assez timide, malgre son apparence. Sa copine est assez marrante: elle ne me regarde pas, me fait rarement des sourirs, mais commence deja a m engraisser et me force a manger des especes de fruits encore inconnus.
- "Bad-Hipster", meme style que Good mais en pantalon, est un type assez bizarre, au sourir lubrique, qui vient plusieurs fois par jour me montrer des jeux qu il a sur sa tablette, ainsi que des photos assez sales de filles a poils. Pas mechant, mais assez etrange comme bonhomme!
- Il y a le petit malin, le petit gosse qui vient me voir en rigolant, avec qui je joue au ballon, son pere qui veut sans arret que je me lave dans le fleuve (qui me parait plus crade encore que moi!), la mere de famille aux dents en or (qui refuse que je la prenne en photo) qui m offre du poisson seche pour agrementer mon riz, le groupe des femmes du fond du bateau, toutes plus charmantes les unes que les autres, qui m invitent a manger des cacahouetes sur leur natte.
- Il y a aussi "Snoopy", avec sa tete de deterre, qui tient a m aider a etendre mon linge, et sa petite fille trop mignonne, pour qui sa mere construit des petits bateaux en papier.
- Je pense aussi a la Grand-mere, a qui tout le monde fait des massages, et qui un soir me demande d echanger nos couettes, pour essayer ma couverture de survie, qui les fait tant rigoler. Il y a cette mere de famille tellement jolie egalement, et qui s occupe de moi, mais qui refuse que je la prenne en photo.
- Il y a les cuistots, dont le second devient a la fin hyper lourd, a me montrer sans arret ses muscles, s assoir dans mon hammac pour me proposer de sortir, me parler de filles (c est un copain de Bad Hipster) de maniere assez triviale, essayer ma couverture de survie, m empecher de dormir. Il est sympa, il me fait bien marrer, mais bon, ivre du matin au soir, il devient au bout d un moment un peu lourd.
- Il y a enfin le "Gang des moines", les seuls parlant anglais, qui remplacent le CREW de Katha a Shwegu sur les cageots du fond, et qui tiennent a m offrir de gros cigares birmans. On echange meme nos mails.
A part ca, en plus de cette experience humaine incroyablement concentree et riche, j apprecie enormement ce temps de repos, ou tout marche au ralenti, et ou je prends le temps sur ma natte d ecrire, de penser, de faire le point. On a pas souvent le temps de s arreter comme ca dans sa vie! Je savoure d autant plus cette annee de cesure, qui arrive je pense au bon moment. Je pense decidemment avoir bien fait de prendre une annee pour moi a 21 ans, je commence a en ressentir le benefice, enorme. Cette annee restera un vrai temps de construction personnelle de ma vingtaine. Attention, je ne serai plus le meme en rentrant haha!
Les insectes!
Le machiniste
Bloques sur un banc de sable
Autrement, peu d evenements notables, a part le soir ou on s est echoues pendant 3h sur un banc de sable, le debarquement de nos marchandises a Shwegu, l instalation de mon hammac, l invasion d insectes le premier soir monstrueuse.
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