7 - LE NORD DE BORNEO: BRUNEI, SABAH & SARAWAK
Si je vous parle d'un minuscule état, disposant d'immenses ressources pétrolières, de confession musulmane (sunnite), avec à sa tête un puissant et richissime sultan, où le situeriez-vous volontiers? Je suis sûr que pour beaucoup, cela évoque un des émirats de la péninsule arabique, style Qatar ou Bahrein. Et bien non, le Brunei se trouve à l'extrémité nord de Bornéo, la deuxième plus grande île du monde, que notre petit sultanat partage avec la Malaisie (Sarawak et Sabah, au nord) et l'Indonésie (Kalimantan, au sud).
Avant l'arrivée des colons, toute la région était fragmentée en une multitude de petits sultanats musulmans séparés les uns des autres (Kelantan, Terrenganu, Aceh, Sulu, Brunei...). L'apparition d'états comme l'Indonésie, la Malaisie ou les Philippines ne relèvent en fait que d'un découpage colonial ultérieur, résultant de conquêtes militaires et d'échanges territoriaux, culturellement assez "virtuels" (à leur création tout du moins). S'il est aujourd'hui minuscule et peu connu, le Brunei possède néanmoins une Histoire millénaire; les premiers écrits retrouvés le concernant datent en effet du Xe siècle de notre ère. Au XVIe siècle, le Brunei célèbre son apogée. Il occupe la majeure partie du nord de Bornéo (territoire malais aujourd'hui), mais aussi l'archipel de Sulu (Philippines). Il est si puissant, que les portugais, premiers européens à atteindre l'Asie du Sud-Est déforment le nom de "Brunei" pour appeler l'ensemble de l'île "Bornéo".
Perte du Sabah: le Sultanat de Sulu
Au XVIIIe siècle, le Sultan de Sulu (archipel reliant Bornéo aux Philippines (appartenant aujourd'hui aux Philippines) procure une aide militaire au Sultan de Brunei pour l'aider à mater une rébellion interne. En remerciement, ce dernier lui offre le territoire du Sabah, partie nord-est de Bornéo, appartenant aujourd'hui à la Malaisie.
Sulu fut un des derniers bastions de résistance à l'encontre des colons espagnols, et ne fut défaits militairement qu'au XIXe siècle, soit près de 300 ans après que la colonie des Philippines fut créée. Lors d'un traité controversé en 1878, le Sabah fut vendu aux anglais, actuels maîtres de la Malaisie Péninsulaire (Malaya), contre une rente dérisoire de 5 000 ringgits par ans (1750 E), que le gouvernement malaisien verse depuis tous les ans à la famille descendante du Sultan.
Jamalul Kiram III, actuel "sultan" de Sulu
Envahisseurs pro-Sulu au Sabah, dans le raid de mars 2013
Devenu par la suite colonie britannique, celle-ci accède à l'indépendance en même temps que Malaya (la péninsule). Les représentants du Sabah se prononcent ensuite en 1959 pour l'intégration de leur territoire à Malaysia, la Malaisie, cette nouvelle Fédération d'états Malais.
Aujourd'hui, le Sultanat de Sulu n'a pas de réalité juridique. Palawan, l'ouest de Mindanao et l'archipel de Sulu appartiennent aux Philippines, et le Sabah à la Malaisie. Les descendants du Sultan continuent cependant à clamer leurs prétentions territoriales, notamment sur Bornéo. Jamalul Kiram III, qui se fait appeler Sultan, vivant actuellement à Manille, est à l'origine d'une attaque par des commandos armés de filipinos de Sulu sur la côte est du Sabah, matée dans le sang par les forces de sécurité Malaysienne en mars 2013.
Perte du Sarawak: le Rajah Blanc
James Brook, le premier Rajah Blanc
L'Histoire du Sarawak, territoire à l'est du Brunei est également excentrique. Il fut également offert en échange d'une aide militaire contre-révolutionnaire par le Sultan du Brunei à... James Brook, un aventurier britannique en free-lance, qui se révéla particulièrement efficace. James Brook prit alors le titre de Rajah, et est aujourd'hui connu comme le "Rajah Blanc" (le seul en réalité). Lui et ses descendants instaurèrent une dynastie assez paternaliste à l'égard de ses "sujets", les malais, qui perdura jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale, où Bornéo fut conquise par les japonais. Après la Guerre, le Rajah fut sommé de "rendre" le Sarawak à l'Empire britannique, qui lui accorda l'indépendance en même temps que le Sabah. Comme son voisin, le Sarawak nouvellement indépendant décida de rejoindre la Fédération de Malaysia, récemment créée, et en fait toujours partie aujourd'hui.
Brunei, du XXe siècle à nos jours
Après avoir fait tous ces cadeaux à ses voisins, le Brunei, devenu tout petit, perdure tant bien que mal. En 1902, la découverte de pétrole off-shore le rend tout de suite beaucoup plus intéressant pour les britanniques, qui en feront un protectorat dès 1906.
Sultan Omar Ali Saifuddien III
En 1959, il refuse de faire partie de la Fédération de Malaysia. Un processus d'indépendance et de démocratisation est lancé par les britanniques à cette époque. Cependant, en 1962, le Sultan Omar III, père de l'actuel Sultan, refuse le résultat du scrutin, et déclare l'Etat d'urgence, encore en vigueur aujourd'hui (ce dont on ne se rend absolument pas compte sur place tant le pays est calme est serein!). Ce faisant, il en profite pour abolir la récente Constitution, et s'attribuer tous les pouvoirs. Il abdique en 1967 pour son fils, le Sultan Hassanal Bolkiah, encore en poste aujourd'hui. La situation politique est inchangée depuis. Le pays obtient officiellement l'indépendance en 1984, bien que ses affaires internes soient gérées par lui même depuis le début des années 60.
Sultan Hassanal Bolkiah
Aujourd'hui, le Sultan est Chef de l'Etat, Chef du gouvernement, Ministre de la Défense, Ministre des finances et de l'économie, et inspecteur général de la Police. Personnage hors du commun, il possède près de 500 voitures de course qu'il collectionne (dont une pavée or), une centaine de motos, un boeing 747 (lequel il a conduit personnellement pour aller rendre visite dernièrement à Barak Obama). Son palais possède 1 788 pièces, dont 257 salles de bain, 5 piscines, une salle pouvant accueillir 5 000 convives etc... Se voulant proche du peuple, le Sultan se rend tous les vendredis à une mosquée différente, sa destination étant toujours gardée secrète pour préserver l'effet de surprise. Il y écoute à cette occasion les doléances des bruneiens, qui lui remettent des lettres faisant part de leurs problèmes.
Voiture du Sultan pavée or
En l'état actuel des choses, il fait face à très peu, pour ne pas dire pas de contestation ouverte: l'Etat est en effet un des plus riches du monde, et il fait bon vivre au Brunei. Son indice de développement humain (IDH) le classe 32e pays mondial (France 20e). L'essence est ridiculement peu chère (0,20E le litre), il existe de nombreuses subventions sur le riz, le gaz, l'électricité... En cas de catastrophes naturelles, tous les habitants, atteints ou non, touchent jusqu'à 2000 dollars de dédommagements. Les frais de Santé et d'Education sont entièrement à la charge de l'Etat, qui payera à tout brunein sa formation dans les plus prestigieuses université du monde, aussi chères soient-elles. Bien que le Sultan ait décidé d'instaurer la Charria, la loi islamique en mai dernier, le Brunei n'a rien de l'Arabie Saoudite: la plupart des femmes sortent les cheveux au vent, et il n'est pas rare de voir des couples ou des amis bavarder mixtes gaiement à la terrasse de cafés.
Aujourd'hui, malgré de nombreux efforts restés infructueux depuis le début des années 2000 pour tenter de diversifier leur économie, cette dernière reste extrêmement dépendante du pétrole et du gaz. Le Brunei est en effet le 4e exportateur mondial (ce qui est énorme, à l'échelle de son territoire et sa population, à peine 1/2 million!) de pétrole, ce dernier représentant 56% de son PIB, et pas moins de 96% de ses exportations. Cependant, selon les estimations, les réserves du pays devraient être épuisées d'ici 20 ans (40 ans pour le gaz). Le Sultan a donc de tout urgence besoin de trouver une solution de suppléance, faute de quoi la fragile paix sociale qu'il a bâti pourrait se voir rapidement bouleversée.
Aujourd'hui, malgré de nombreux efforts restés infructueux depuis le début des années 2000 pour tenter de diversifier leur économie, cette dernière reste extrêmement dépendante du pétrole et du gaz. Le Brunei est en effet le 4e exportateur mondial (ce qui est énorme, à l'échelle de son territoire et sa population, à peine 1/2 million!) de pétrole, ce dernier représentant 56% de son PIB, et pas moins de 96% de ses exportations. Cependant, selon les estimations, les réserves du pays devraient être épuisées d'ici 20 ans (40 ans pour le gaz). Le Sultan a donc de tout urgence besoin de trouver une solution de suppléance, faute de quoi la fragile paix sociale qu'il a bâti pourrait se voir rapidement bouleversée.
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